Dans l'héritage des travaux menés en interdisciplinarité entre géographes et archéologues et en particulier dans cadre du projet TransMonDyn (Sanders & al., 2016), mes travaux cherchent à fluidifier les étapes d'un raisonnement géographique portant sur l'analyse des évolutions de structures spatiales sur le temps long. Le cas d'application que je me propose de présenter concerne la structuration du système de peuplement du Nord-Ouest de l'Europe entre 800 et 1100, période qui permet d'observer une transition entre un système de peuplement majoritairement constitué d'habitats isolés et un système plus territorialisé, maillé par les paroisses et marqué par une polarisation du peuplement autour de petites villes et de villages nouvellement apparus à proximité des églises et châteaux (Tannier & al., 2014).

Ces évolutions peuvent être montrées à partir de sources historiques et de données archéologiques, mais en l'absence de connaissances précises sur les processus ayant amené et dirigé ces évolutions, seules des hypothèses sur leurs principaux leviers et modalités peuvent être formulées.

Afin d'éprouver ces hypothèses, nous avons fait le choix de les expérimenter en les formalisant au moyen de simulations à base d'agents. Cet outil, en créant un laboratoire virtuel, nous permet d'expérimenter différents types de scénarios portant sur des espaces initiaux variés. Cette démarche devrait nous amener à proposer des hypothèses candidates à l'explication des dynamiques observées.

La construction d'un modèle de simulation pousse d'une part à expliciter l'ensemble des implicites disciplinaires quant à la vision d'un processus passé, ce qui justifie déjà ce type d'approche. Elle permet d'autre part d'éprouver les hypothèses formulées en les confrontant à d'autres espaces, à d'autres spécificités de fonctionnement, ce qui doit mener à la formulation d'explications plus robustes et d'une portée plus générale.

Une telle démarche nécessite d'analyser les comportements produits par le modèle, et en premier lieu d'identifier et de comprendre ceux-ci au travers d'une considérable masse de données spatio-temporelles issues de la simulation. Ce type de modèle adoptant une approche stochastique et nécessitant dès lors de produire de multiples réplications d'une même simulation afin d'en évaluer la variabilité et les tendances de fond, les données sont par ailleurs démultipliées. Nous proposons à cet effet une approche méthodologique ancrée dans le champ de l'analyse exploratoire et interactive de données, qui vise à dispenser les archéologues et historiens d'une analyse quantitative poussée des sorties de simulation, en leur permettant de manipuler graphiquement les données simulées.

Cette démarche sera illustrée par la présentation des pistes visant à analyser de manière exploratoire et interactive les comportements d'une première version du modèle. Celle-ci se concentre sur la restructuration spatiale des foyers paysans face aux phénomènes d'émiettement des pouvoirs seigneuriaux et de paroissialisation, au sein d'un espace exemple que constitue la Touraine. Cette présentation sera enfin l'occasion de décrire et de resituer la démarche d'ensemble de construction et d'évaluation de modèles en situation d'interdisciplinarité.

Références :

Tannier, C., Zadora-Rio, E., Leturcq, S., Rodier, X., & Lorans, E. (2014). Une ontologie pour décrire les transformations du système de peuplement européen entre 800 et 1100. Ontologies et modélisation par SMA en SHS, 289-310.

Sanders L. (dir) & al. (2016 – à paraître). « Transitions dans les systèmes de peuplement : observer, interpréter et simuler l'émergence du changement spatial », Presses Universitaires François Rabelais, Tours. http://www.transmondyn.parisgeo.cnrs.fr/